Avoir le soutien de sa communauté d’affaires, ça aide!
Remontée mécanique de la Station Gallix
Recevoir des subventions gouvernementales pour assurer la survie de l’entreprise, c’est bien. Recevoir de généreux dons de sa communauté, et plus particulièrement de ses industries locales pour parvenir à ce même objectif, c’est encore mieux.
L’histoire de la Station Gallix, à Sept-Îles, illustre justement ce qu’est le privilège de bénéficier du soutien indéfectible des siens lorsque le ciel vous tombe sur la tête à un bien mauvais moment.
Lundi 27 septembre 2021, c’est la consternation aux pieds de la station de ski nord-côtière de 185 mètres de dénivelé. Un glissement de terrain, provoqué par des pluies diluviennes tombées trois jours plutôt, a sérieusement endommagé l’unique remontée mécanique qui dessert les 22 pistes du Mont-Trouble, la plus haute station à l’est de Charlevoix.
Toute la structure à la hauteur de la cabine du contrôleur et de l’embarcadère pour monter dans les télésièges s’est effondrée sur près de trois mètres. Les trois ponceaux qui permettaient d’évacuer l’eau venant de la montagne ont cédé. Les câbles du remonte-pente sont sous tension extrême. Ils risquent de lâcher à tout moment. La catastrophe. La direction de la station est sous le choc. Non seulement la saison de ski 2021-2022 est foutue, la survie de la destination qui dessert essentiellement la population de Sept-Îles et de Port-Cartier, est carrément en péril.
Où trouver l’argent?
Où trouver les 2,7 M $ nécessaires pour réparer la remontée quadruple qui compte 88 chaises ? Certes, les assurances peuvent couvrir une partie (1,5 M$) des travaux. Il manque tout de même 1,2 M $ à la station, opérée à titre d’organisme à but non lucratif, pour finaliser le montage financier.
« Mais peut-on encore faire appel à la générosité des utilisateurs de la montagne et des organisations locales ? » se demandent les membres du conseil d’administration, réunis d’urgence à l’automne 2021. Il faut savoir que le Comité de relance de la Station Gallix a fait construire un tout nouveau chalet au coût de 3,3 M$ cinq ans plutôt. Un gros cadeau pour célébrer le 20e anniversaire de l’OBNL qui gère la station depuis 1998. La population et des dizaines d’entreprises de la région ont déjà généreusement donné. Voudront-elles une fois de plus contribuer ?
On ouvre quand même
En attendant de trouver une solution, la direction va de l’avant. Même sans remonte-pente, la station qui génère 20 000 jours/ski ouvre ses portes en décembre 2021. La pente-école, les glissades sur tubes et les sentiers de raquette sont accessibles. Le chalet peut également être loué pour divers événements. Il va de soi que cette ouverture partielle des installations est loin de générer les revenus escomptés. « On a récolté à peine le tiers des recettes habituelles », concède Loïs Babin, directeur général de la montagne.
« Sans la vente d’abonnements de ski et de billets journaliers, la station a essuyé une perte nette d’au moins un demi-million de dollars », soulève-t-il. Et dire qu’ailleurs au Québec, la majorité des stations de ski ont surfé sur l’effet pandémie… et ont réalisé des profits records.
Lancement de la campagne de financement
Arrive février 2022. Il faut absolument lancer une campagne de financement. La station doit à tout prix retrouver son remonte-pente pour le début de la saison 2022, autrement l’OBNL se verra obligé de mettre la clé dans la porte, avertit Loïs Babin. Ce qui va justement motiver le conseil d’administration de la station à donner le feu vert pour entamer les travaux de réparation du remonte-pente. Et ce, avant même de savoir si la station aura l’argent nécessaire.
Une entreprise de communication de la région, Boîte à clés, est appelée à la rescousse afin d’établir un plan de match. Sa présidente et cofondatrice, Natalie Rouleau, accepte d’offrir ses services pro bono afin que démarre la campagne « À go, on remonte! ». Il faut que les médias parlent de la station en continu afin que la population réalise combien son soutien est essentiel pour la survie de la destination.
Ça fonctionne. Des premiers dons de 100$, de 1000 $ de 5000 $ parviennent à l’organisation. « Nous avons reçu des dons de gens et de petites PME desquels nous ne nous attendions pas à recevoir une aide financière », admet Loïs Babin. La MRC des Sept-Rivières ainsi que les villes de Sept-Îles et Port-Cartier vont également verser une importante somme de 500 000 $ pour servir de levier de financement auprès de la communauté d’affaires de la région. Ce premier montant majeur permettra d’ailleurs à la station de procéder à l’installation d’un gigantesque ponceau au pied de la montagne dès la fonte des neiges au mois de mai.
Ça prend un chef d’orchestre!
Les semaines et les mois passent, les dons ralentissent. En août 2022, la saison approche à grands pas et il manque toujours 700 000 $ pour boucler la boucle. Il devient de plus en plus clair que les messages de l’actuelle campagne ne suffisent plus. Les employés de la station, déjà débordés par leurs tâches, ne sont pas en mesure de compléter le sprint final. Ça prend un chargé de projet pour solliciter directement les entreprises de la région.
Pas d’affichage de poste, pas de chasseur de tête, le conseil d’administration a déjà une bonne idée du chef d’orchestre à qui il souhaite confier cette délicate tâche. En fait, il s’agit plutôt d’une « cheffe d’orchestre » : Marie-Ève Desrosiers. Directrice du Jardin du ruisseau Bois-Joli (le jardin botanique nord-côtier), cette gestionnaire possède déjà des liens avec les gens de la communauté d’affaires de la région, et en plus elle maîtrise les rouages d’un OBNL puisque le jardin en est un. Mais surtout, Marie-Eve Desrosiers est reconnue pour sa dynamique personnalité, son entregent et son attitude toujours positive. « Mon grand-père faisait partie des premiers utilisateurs et a en plus investi financièrement dans cette station créée dans les années 1960. S’il était encore vivant aujourd’hui, il serait fier que j’aie accepté de relever le défi », raconte la chargée de projet qui a instantanément accepté le poste.
Voulez-vous sauver la station ?
Au total, plus d’une soixantaine de petites, moyennes et grandes entreprises ont été contactées par Marie-Ève qui posait la même question : « voulez-vous sauver la station? » Le tiers d’entre elles a répondu à l’appel, dit-elle. Le plus important employeur de la Côte-Nord, ArcelorMittal, est devenu officiellement le principal partenaire de la station avec un don de 250 000$. « Cette entente a nécessité au moins trois mois d’échange, mais elle en valait le coup », confie la chargée de projet. Signalons au passage que l’actuel directeur de cette usine de Port-Cartier, Patrick Girard, a été lui-même dirigeant de la Station Gallix de 2007 à 2010.
Précisons que ArcelorMittal Mines et Infrastructure Canada a indiqué qu’elle serait présente pour soutenir la reconstruction de la remontée mécanique dès le lendemain de son affaissement. « Le processus pour finaliser notre entente de partenariat a dû attendre plusieurs mois parce qu’un plan global de financement devait d’abord être finalisé par le comité de relance, qui devait aussi voir à combien s’élèveraient les remboursements qui seraient versés par les assureurs », indique sa directrice des communications, Annie Paré.
Les installations de l’entreprise minière à Port-Cartier emploient près de 1000 personnes. « Près de 25 % d’entre eux font du ski à la Station Gallix à des fréquences qui varient entre une journée à plus d’une dizaine de visites », estime sous toute réserve la porte-parole d’ArcelorMittal.
Plusieurs autres gros dons
Parmi les autres grands donateurs notoires, soulignons l’institution financière Desjardins qui a versé 100 000 $ ainsi que le don de 50 000 $ de la part du producteur d’aluminium Alouette. Remorquages FG de Sept-Îles a fourni l’équivalent de 35 000 $ en frais de transport. « Des membres de mon personnel ont assuré le transport des pièces et des équipements nécessaires entre l’usine de Doppelmayr, à Saint-Jérôme, et la station », raconte le propriétaire de la PME, Frédéric Gagnon. Mentionnons que cet entrepreneur, qui est aussi entraîneur de l’équipe de ski de la Station Gallix (ses trois filles en font partie), était déjà présent le matin du 27 septembre 2021 afin de prêter un coup de main au personnel de la montagne. Il confie avoir également challengé plusieurs PME afin qu’elles participent, elles aussi, au financement.
Un appel du président de la station, Marc Duchaine, a suffi pour que l’entreprise spécialisée dans la fabrication d’équipements miniers, PCR +, accorde 25 000 $. « On a déjà vécu une fermeture de la station dans les années 1990. On ne souhaitait pas revivre un scénario similaire », soutient Jean-Michel Blais, vice-président de la PME de Port-Cartier qui emploie une quarantaine de personnes. Cette station constitue un important élément d’attraction et de rétention de personnel dans la région, soulève-t-il. « D’ailleurs, plus du quart de notre quarantaine d’employés fréquente la station pendant l’hiver », précise-t-il.
Même discours au Port de Sept-Îles, où ce sont près du quart des membres de l’équipe administrative (incluant son PDG, Pierre Gagnon) qui dévalent régulièrement les pistes de la station. L’infrastructure portuaire a offert un don de 25 000 $.
Bien qu’à l’aube de l’été 2023, il manquait encore un peu plus de 150 000$ pour finaliser le montage financier, Marie-Eve Desrosiers gardait bon espoir. « Nous avons encore de très bons prospects avec lesquels nous poursuivons les discussions. Je demeure convaincue que nous allons obtenir ce montant avant le début de la prochaine saison », conclut d’un ton sans équivoque, la chargée de projet.
Des conditions gagnantes
Bien que le facteur régional, et plus particulièrement celui de la Côte-Nord en termes de région éloignée, constitue une clé majeure dans le succès de la campagne de financement, l’équipe de la Station Gallix demeure convaincue que sa recette de financement privé peut s’exporter ailleurs au Québec. Elle en partage d’ailleurs les conditions gagnantes.
1-Dénicher une personne qui se sent interpelée par la station pour diriger les actions de la campagne de financement.
2- Cette personne a avantage à bien connaître les gens qui gravitent au sein de la communauté des affaires locales. C’est un atout indispensable pour approcher les donateurs et créer des liens.
3- Il va de soi que l’entregent et le dynamisme de cette personne sont essentielles pour faciliter la communication auprès des donateurs.
4- Une fois embauchée, cette personne a le mandat d’assurer les discussions et un étroit suivi auprès des donateurs. « Dès la première rencontre, cette personne doit avoir tout en mains, notamment le plan d’action ainsi que le plan de visibilité selon les dons versés », signale Marie-Ève Desrosiers.
5- Il est primordial, insiste-t-elle, que l’organisation honore chacune des promesses liées à la visibilité du montant du don versé. « Il en va de la crédibilité de l’organisation qui pourrait avoir besoin à nouveau de financement privé pour d’autres projets dans le futur », prévient-elle.
6- Le plan de visibilité peut être modifié en cours de route. Toutefois, il faut que l’organisation demeure équitable avec chacun de ces donateurs. Du plus petit au plus grand, avise Marie-Ève Desrosiers.
7- Les liens établis avec chacun des donateurs doivent demeurer actifs même lorsque ça va bien, renchérit Natalie Rouleau, présidente de la Boite à clés. L’organisation de journée ou soirée VIP pour tous vos donateurs en est un exemple. Il est important, avise-t-elle, de préserver une communication régulière avec les donateurs, de leur partager vos bons coups, de les garder en liens constants avec la station une fois la campagne terminée. De cette façon, les collaborations seront beaucoup plus faciles lorsque surviendra d’autres moments où ça va moins bien.
8-Le plan de communication est essentiel, recommande La dirigeante de Boite à clés. C’est bien de multiplier les idées, mais elles doivent s’inscrire dans un plan stratégique et non faire figure d’improvisation. D’ailleurs, elle insiste sur le facteur réflexion. « Chaque fois que survient une crise, ça devient une course contre la montre. Or, l’équipe de direction a avantage à prendre le temps de réfléchir pour chaque geste posé. Ce type de campagne a toutes les chances d’obtenir le succès escompté si tout est bien mené dès le départ.
9-Enfin, le conseil d’administration y est pour beaucoup dans la réussite de ce type projet, conclut Marie-Eve Desrosiers. La cohésion au sein de cette équipe, la volonté et le sentiment d’appartenance de chacun sont clairement des facteurs clés de réussite. Dans le cas de Station Gallix, les administrateurs ont littéralement tout donné pour parvenir à sauver la montagne de ski. Le nombre d’heures de bénévolat de leur part a été pharamineux ! Il aurait été facile de baisser les bras, car le défi était de taille. Or, tous sont passés rapidement en mode solution. De plus, cette même équipe de gestion venait de terminer une autre campagne d’ampleur, dans le cadre de la construction d’un nouveau chalet. Le temps, les compétences et la bonne volonté des administrateurs sont donc primordiales pour le maintien et le développement de telles infrastructures.